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Le patriarche œcuménique Bartholomée I,
a prononcé son discours »La religion, élément clé du processus de
paix » à l’occasion de la Conférence mondiale sur la paix d’al-Azhar qui
s’est déroulée les 27 et 28 avril 2017 au Caire.
« Religions et paix »
Conférence mondiale de la paix du Conseil des Aînés d’Al-Azhar et des Musulmans
Le Caire, le 27 avril 2017
Vos Béatitudes, Éminences, Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est un honneur d’être invité à prendre
la parole à cette Conférence sur la paix mondiale organisée par
Al-Azhar et le Conseil musulman des Aînés. Nous félicitons sincèrement
Son Eminence, M. Ahmad Al-Tayyeb, Grand Imam d’Al-Azhar, d’avoir eu le
courage et la vision d’organiser cette initiative cruciale pour la
promotion de la paix par les religions.
Au cours des deux dernières décennies,
l’humanité a connu des attaques terroristes continues, qui sont à
l’origine de la mort et des blessures de milliers de personnes, et qui
deviennent la plus grande menace et source de peur pour les sociétés
contemporaines. Depuis lors, les religions ont souvent été soupçonnées
ou ouvertement accusées d’avoir inspiré le terrorisme et la violence.
Notre vie quotidienne s’est remplie d’horribles nouvelles sur les
attaques terroristes au nom de la religion.
Dans le même temps, nous constatons la
volonté de notre monde de promouvoir le dialogue au lieu des conflits et
la capacité à le faire. Cela est vrai non seulement pour les dirigeants
politiques et les organisations laïques, mais aussi pour les dirigeants
religieux et les institutions qui se sont montrés prêts à s’engager
dans un dialogue de paix au niveau local et international, afin
d’assurer une coexistence pacifique et une collaboration entre les gens.
Comment, après tant de conférences, de
déclarations et d’initiatives pour la paix, pouvons-nous être témoins
d’une augmentation de la violence, au lieu de remarquer un progrès dans
la paix ? Comment la communauté mondiale peut-elle justifier les
derniers actes terroristes de Paris, Bruxelles, Istanbul,
Saint-Pétersbourg ou Stockholm ? Comment expliquer les guerres en cours,
les conflits armés et les effusions de sang au Moyen-Orient ? Comment
pouvons-nous accepter les attaques dans les églises coptes de Tanta et
d’Alexandrie il y a environ deux semaines ? Permettez-nous d’exprimer
encore une fois à la communauté copte et à tout le peuple égyptien nos
sincères condoléances et les prières du Patriarcat œcuménique.
Afin de comprendre ce qui se passe dans
notre monde d’aujourd’hui, réfléchissons sur le rôle de la religion dans
l’humanité. Paradoxalement, au lieu de l’attente moderniste d’un ‘âge
laïque post religieux’, notre époque devient en fait une ‘période
post-laïque’ ou même une période d’ ‘explosion religieuse’. La religion
apparaît comme une dimension centrale de la vie humaine, tant au niveau
personnel que social. Elle revendique un rôle public et participe à tous
les discours contemporains centraux.
Les fonctions cruciales de la religion
sont évidentes dans les quatre domaines suivants de l’existence humaine
et de la coexistence :
- La religion est liée aux préoccupations profondes de l’être humain. Elle fournit des réponses à des questions existentielles cruciales, donnant l’orientation et le sens de la vie. La religion ouvre aux êtres humains la dimension de l’éternité et la profondeur de la vérité.
- La religion est liée à l’identité des peuples et des civilisations. C’est pourquoi la connaissance de la croyance et de la religion de l’autre est une condition préalable indispensable à la compréhension de l’altérité et à l’établissement du dialogue.
- La religion a créé et conservé les plus grandes réalisations culturelles de l’humanité, les valeurs morales essentielles, la solidarité et la compassion, ainsi que le respect de toute la création.
- La religion est un facteur vital dans le processus de paix. Comme saint Paul l’a écrit autrefois : « Dieu n’est pas un dieu de désordre mais de la paix » (1 Co 14,33). La religion peut, bien sûr, diviser en provoquant l’intolérance et la violence. Mais c’est plutôt là son échec, et non son essence qui consiste en la protection de la dignité humaine.
Malheureusement, notre monde
contemporain est marqué soit par le relativisme – profondément lié à la
laïcité – soit par le fondamentalisme, que beaucoup considèrent comme
une réaction au premier. En effet, le fondamentalisme se considère
souvent comme menacé ou même persécuté par le relativisme. Alors que ce
dernier nie l’existence de la vérité, l’intégrisme considère que sa
propre vérité est unique et doit donc être imposée aux autres, ce qui
rend impossible à la religion de servir de pont entre les êtres humains.
Dans l’histoire récente, le phénomène du nationalisme et du
post-colonialisme a transformé l’extrémisme et l’intégrisme religieux en
une simple idéologie, utilisée à des fins politiques.
Malheureusement, l’éclatement continu du
fondamentalisme religieux et des actes de violence terribles au nom de
la religion, donnent aux critiques modernes de la foi religieuse des
arguments contre la foi et appuient l’identification de la religion avec
ses aspects négatifs. La vérité est que la violence est la négation des
croyances religieuses fondamentales et de la doctrine. La vraie foi ne
libère pas les humains d’être responsables du monde, de respecter la
dignité humaine et de lutter pour la justice et la paix. Au contraire,
elle renforce l’engagement de l’action humaine, elle élargit notre
témoignage pour la liberté et les valeurs fondamentales humaines.
La région méditerranéenne a connu dans
le passé, pendant plusieurs siècles, une cohabitation pacifique de
juifs, de chrétiens et de musulmans. Cette expérience démontre que les
personnes de différentes religions peuvent vivre ensemble, en trouvant
le message le plus fondamental pour l’humanité qui unit, au lieu d’être
une source de division. Cela montre que les religions peuvent servir de
ponts entre les gens, d’instruments de paix et de compréhension
mutuelle, de tolérance entre les êtres humains et de dialogue
interreligieux.
Le patriarche œcuménique Bartholomée avec le Patriarche d'Alexandrie et de toute l'Afrique Theodoros, Caire (ici).
Pour cette raison, le dialogue
interreligieux reconnaît les différences des traditions religieuses et
favorise la coexistence pacifique et la coopération entre les personnes
et les cultures. Le dialogue interreligieux ne veut pas nier sa propre
foi, mais plutôt changer son esprit ou son attitude envers l’autre. Il
peut aussi guérir et balayer les préjugés et contribuer à une
compréhension mutuelle et à la résolution pacifique des conflits. Les
partis pris et les préjugés proviennent d’une fausse représentation de
la religion. Par notre présence aujourd’hui, lors de cette importante
conférence, nous voulons nous opposer à au moins un préjugé : l’islam
n’est pas égal au terrorisme, car le terrorisme est étranger à toute
religion. C’est pourquoi le dialogue interreligieux peut chasser la peur
et le soupçon. Il est central pour la paix, mais seulement dans un
esprit de confiance et de respect mutuels.
En juin dernier, nous avons eu le
privilège de présider le Saint et Grand Conseil de l’Église orthodoxe à
travers le monde, réunis en Grèce, sur l’île de Crète. Parmi plusieurs
questions, le Conseil a rejeté et condamné l’intégrisme. Son encyclique
souligne que, malheureusement, nous faisons aujourd’hui l’expérience
d’une augmentation de la violence au nom de Dieu. Les explosions du
fondamentalisme au sein des communautés religieuses menacent de faire
penser que le fondamentalisme appartient à l’essence du phénomène de la
religion.
La vérité, cependant, est que le
fondamentalisme, comme « zèle que n’éclaire pas la pleine connaissance »
(Rom 10.2), constitue l’expression d’une religiosité morbide ». En
outre, le Conseil a souligné qu’ « un dialogue interreligieux honnête
contribue au développement de la confiance mutuelle et à la promotion de
la paix et de la réconciliation. (…) La vraie paix n’est pas atteinte
par la force des armes, mais seulement par l’amour qui « ne recherche
pas son intérêt » (1 Cor 13,5). L’huile de foi doit être utilisée pour
calmer et soigner les blessures des autres, et non pour rallumer de
nouveaux feux de haine » (Encyclique, 17).
La crédibilité des religions dépend
aujourd’hui de leur attitude à l’égard de la protection de la liberté et
de la dignité de l’homme, ainsi que de leur contribution à la paix.
C’est la présupposition non seulement de la coexistence pacifique, mais
aussi de la survie pure de l’humanité. Nous ne pouvons affronter ces
défis que tous ensemble. Personne – pas une nation, pas un État, pas une
religion, ni la science ni la technologie – ne peut affronter les
problèmes actuels. Nous avons besoin les uns des autres ; nous avons
besoin d’une mobilisation commune, d’efforts communs, d’objectifs
communs, d’un esprit commun.
Par conséquent, nous considérons la
crise aux multiples facettes actuelle comme une opportunité pour
pratiquer la solidarité, pour le dialogue et la coopération, pour
l’ouverture et la confiance. Notre avenir est commun, et la voie vers
cet avenir est un voyage commun. Comme il est écrit dans les psaumes :
« Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et
d’être unis ! » (Psaume 132,1).
Votre Éminence le Grand Imam,
Chers participants
Nous croyons profondément que la
contribution des religions demeure cruciale dans notre recherche commune
de la paix sur terre. Elle est précieuse car, pour les religions, la
vraie paix dans le monde n’est pas simplement l’absence de guerre, mais
essentiellement la présence de la liberté, de la justice et de la
solidarité. Ce qui est nécessaire pour la religion, c’est de guider les
gens à la profondeur de cette vérité, à un changement d’esprit et de vie
et à la compréhension mutuelle. C’est en effet le cœur de nos
traditions religieuses. Pour cette raison, l’humanité a le droit
d’attendre de nous plus que ce que nous donnons effectivement. C’est le
plus grand défi pour les religions : développer leurs propres potentiels
d’amour, de solidarité et de compassion. C’est ce que l’humanité attend
profondément de la religion aujourd’hui.
Je vous remercie de votre aimable attention !
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