28 Nov 2003
Religioscope.info
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Les orthodoxes ghanéens le surnomment
déjà «Panteleimon le bâtisseur», tant il est actif dans la construction
d’églises et l’ordination de prêtres. Né en 1955 sur l’île de Kalymnos, émigré
de 1958 à 68 aux Etats-Unis où il a acquis la citoyenneté américaine, cet ancien
vicaire du Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie est devenu évêque du Ghana en
janvier 2000. Il nous parle de son itinéraire, de sa vision de la mission et de
l’œcuménisme.
De
quand date votre vocation missionnaire?
Très
jeune, j’ai ressenti l’appel dans mon cœur, le désir de participer au travail
missionnaire. A 14 ans, il était clair dans ma tête que je deviendrais un jour
évêque. C’était le seul but de ma vie, ce que je répondais quand on me demandait
ce que je voulais faire quand je serais grand. Cela a été confirmé par mon père
spirituel, l’un des derniers saints de la Grèce, bien que pas encore canonisé,
le père Amphiloque de Patmos. Il a prophétisé à propos de mon ordination. Quand
j’avais 15 ans, il a dit à la mère abbesse du monastère de Kalymnos: «Un jour,
tout le monde va venir baiser la main de cet enfant.» Quand j’ai été ordonné
évêque dans cette même île de Kalymnos, plus de 14.000 personnes sont venues à
mon ordination. A l’école déjà, mes professeurs et mes camarades de classe ne
m’appelaient pas par mon nom, mais «Père».
Le
monachisme était donc une voie «naturelle»…
Je
suis devenu moine en 1975, diacre en 1980 et prêtre en 1983. Je suis resté moine
pendant onze ans au monastère Saint-Panteleimon de Kalymnos; c’est de là que
vient mon nom. Pour moi, le monachisme a été une période de préparation. Le but
de la vie monastique – c’est comme cela que je la vois – est de se préparer à
retourner dans le monde pour aider les autres. À Kalymnos, notre monastère était
très engagé dans le travail missionnaire au Zaïre.
Spirituellement,
l’un des moments clés de votre vie est votre grave maladie au milieu des années
90…
Effectivement.
J’ai eu un cancer qui m’a pour ainsi dire paralysé pendant deux ans (janvier
85-juillet 86). Je n’avais plus aucune sensation, rien. Je ne pouvais plus
bouger. J’étais soigné dans le meilleur hôpital d’Athènes, avec les meilleurs
spécialistes. Les métastases s’étaient répandues dans toutes les parties du
corps. J’ai eu tous les traitements possibles et imaginables, les plus
sophistiqués et les plus forts, mais sans résultat. Les professeurs ont donc
décidé de tout arrêter et de me laisser mourir en paix. Du point de vue médical,
il n’y avait plus aucun espoir. Mon évêque et les prêtres locaux discutaient
déjà les modalités de mes funérailles.
Mais
la grâce de Dieu agit là où les pouvoirs humains cessent. Cela faisait un mois
que j’étais alité, avec plus de 42oC de fièvre. Les médecins ne me
donnaient plus que deux jours à vivre quand, d’une manière miraculeuse – par
l’intermédiaire de la Mère de Dieu – j’ai été guéri. En une nuit, la température
est complètement tombée, et j’ai pu retrouver une certaine mobilité. Les
médecins m’ont examiné: plus aucune trace de cancer. De fait, deux semaines
avant que je ne tombe malade, alors que j’étais en pleine forme, ma sœur a vu en
rêve la Mère de Dieu en infirmière, qui me tenait dans ses bras, en disant:
«Votre frère est mourant, mais je vais le guérir. Il lui faudra deux ans
pour pouvoir se remettre sur pied, mais il marchera.» C’était un signe et
une confirmation que la Mère de Dieu allait accomplir un miracle pour
moi.
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C’est
alors que vous partez pour l’Afrique?
Après
ma maladie, j’ai eu la chance de pouvoir rejoindre le Patriarcat grec-orthodoxe
d’Alexandrie et de toute l’Afrique. Je suis retourné en Afrique du Sud – à
Johannesbourg, puis au Cap – où j’avais déjà été prêtre et prédicateur d’une
communauté grecque entre 1987 et 1993. Nous y avons fait un gros travail. Nous
étions très bien organisés. Je m’occupais de cours, d’études bibliques en
anglais et en grec que nous diffusions par cassettes vidéo et audio. En 1997, je
suis allé à Alexandrie où j’ai été pendant deux ans vicaire patriarcal et
directeur des services de presse. Enfin, le 18 janvier 2000, je suis arrivé à
Accra, en qualité de premier évêque de ce diocèse. Il couvre onze pays, ce qui
est un défi énorme pour la diffusion de l’Orthodoxie: Ghana, Côte d’Ivoire,
Mali, Burkina Faso, Sierra Leone, Guinée, Liberia, Guinée-Bissau, Cap Vert,
Sénégal, Gambie. Pour l’instant, nous ne sommes présents qu’au Ghana et avons
une paroisse à Abidjan, qui a démarré en mars 2002. Dans quelque temps,
j’envisage d’aller dans les pays anglophones comme la Gambie et la Guinée, plus
faciles pour moi à cause de la langue.
Pourtant
vous êtes allés en Côte d’Ivoire, pays francophone.
Pourquoi?
L’histoire
de la Côte d’Ivoire est symptomatique de la manière dont je conçois la mission.
Depuis des mois, je ressentais un appel intérieur à aller à Abidjan. C’était
d’une certaine manière – sur un plan rationnel – absurde, car nous ne
connaissions absolument personne, n’avions aucun point de chute. Mais cet appel
était si fort, si insistant que je ne pouvais même plus dormir. Finalement, nous
sommes partis en voiture, avec mon chauffeur et mon assistante. Dix-huit heures
de route. Un voyage infernal, dangereux et surtout épuisant.
Arrivés
dans la capitale, nous nous sommes installés dans un hôtel et avons étudié
l’annuaire téléphonique, à la recherche de noms à consonance grecque. Nous avons
trouvé une personne qui nous a aidés à passer une annonce en français dans la
presse locale, annonce indiquant qu’un évêque orthodoxe était de passage à
Abidjan. Dix jours plus tard, rien ne s’était passé.
Alors
que nous nous apprêtions à rentrer, nous avons reçu le téléphone d’un jeune
homme nous informant qu’un groupe d’Ivoiriens cherchaient l’Orthodoxie. Nous les
avons reçus, ils nous ont raconté comment, à la recherche de leurs racines
chrétiennes, ils avaient conclu que l’Église orthodoxe était la seule vraie
Église. Ils étaient déjà étonnamment bien formés, éduqués, et très sérieux. Nous
avons testé leur sincérité. Nous avons fait une catéchèse accélérée, et peu
après nous avons ordonné prêtre leur leader, le père Jérémie Sylvanus
Pépin, qui s’est révélé être le fils spirituel du père orthodoxe Marc Do
Behanzin, vicaire au Bénin de l’évêque Alandros (Nigeria).
Nous
étions partis le 10 mars; le 24 mars, nous avons célébré la liturgie au domicile
de Jérémie avec son groupe; les 6 et 7 avril, j’ai ordonné Jérémie diacre puis
prêtre; le 10 avril, nous avons baptisé la communauté. Voilà comment la mission
marche: il faut faire confiance à Dieu, attendre et répondre aux signes qu’Il
nous donne. Nous ne devons pas faire ce que nous pensons, mais le laisser agir.
C’est très simple.
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Comment
se développe l’Église orthodoxe au Ghana?
Elle
est en pleine croissance. Quand j’ai été consacré évêque, l’œuvre missionnaire
au Ghana était pour ainsi dire inconnue; moi-même je savais à peine ce qui se
passait ici. Aujourd’hui, trois ans plus tard, avec les publications et articles
que nous avons produits, ce travail est maintenant bien connu dans le monde
orthodoxe. Il y a actuellement quelque 5000 orthodoxes dans ce pays, soit 2000
de plus que lorsque nous sommes arrivés. Tous des Africains, à l’exception d’une
poignée de Grecs, quelques Russes et Libanais. Quand j’ai débarqué, il y avait 3
prêtres et un diacre; aujourd’hui, il y a 22 prêtres et quasiment autant
d’églises, dont 7 en construction. De plus en plus de régions du Ghana sont
intéressées à recevoir l’Orthodoxie. Pour vous donner une idée, 60% de la
population – environ 20 millions d’habitants – est chrétienne, notamment des
méthodistes, catholiques, anglicans, presbytériens et
pentecôtistes.
Comment
et où les prêtres sont-ils formés?
C’est
moi qui m’en occupe. Je les forme, leur enseigne les bases de la foi, de la
théologie, de l’histoire de l’Église. Il y a bien un séminaire à Nairobi
(Kenya), fondé en son temps par l’archevêque Makarios III (Chypre), mais mon
rêve est de créer un séminaire en Afrique de l’Ouest; je préfère investir
l’argent ici plutôt qu’en billets d’avion pour envoyer des gens au
Kenya.
Pardonnez-moi
cette question qui vous paraîtra peut-être indiscrète, mais combien sont-ils
payés?
Ils
gagnent grosso modo 50 dollars par mois. Cela suffit pour s’en sortir, car la
plupart sont des paysans qui travaillent la terre. De plus, le diocèse prend en
charge les frais scolaires, les dépenses médicales, la sécurité sociale de la
famille. Actuellement, je couvre les dépenses scolaires de 114 enfants, tous
ceux du clergé et encore d’autres, de tous les niveaux jusqu’à
l’université.
Avez-vous
d’autres activités, à côté de l’ordination de prêtres et de la construction
d’églises?
Quel
est le sens du travail missionnaire? C’est la continuation du travail du Christ
pour le salut de l’humanité. Or, le Christ prêchait la Parole de Dieu, mais en
même temps Il guérissait (santé) et enseignait les gens (éducation). Si nous ne
faisons pas tout cela, nous sommes dans le péché.
Ainsi,
nous avons six écoles primaires et une école professionnelle – Saint Peter’s
Business College à Larteh – où il est possible de recevoir une formation
commerciale (secrétariat, etc.). Sauf pour cette dernière, où il faut payer un
modeste écolage, toutes les écoles sont gratuites. Les familles qui le peuvent
paient un petit quelque chose pour le repas de midi de leurs enfants. Il n’est
pas nécessaire d’être orthodoxe pour accéder à nos écoles. Ce que nous offrons,
comme tout le travail missionnaire, est d’abord un acte d’amour. Nous devons
regarder et considérer tous les êtres, orthodoxes ou non, comme des enfants de
Dieu.
À
Larteh, nous construisons un nouveau centre de formation. Le but est de pouvoir
offrir un parcours complet: primaire, secondaire, secondaire supérieur, école
commerciale, et pourquoi pas un jour un institut de théologie. L’objectif est
d’avoir un lieu où un enfant peut suivre tout un cursus dans un cadre orthodoxe,
devenir ainsi un bon orthodoxe. J’ai une vision à long terme pour cette région.
On a besoin d’un lieu, d’une base pour rayonner. Maintenant, tout est trop
dispersé, éparpillé.
Nous
avons également des activités médicales. Nous avons eu plusieurs équipes de
médecins, venus de Rhodes – «Les docteurs du cœur» – pour visiter des villages
et prodiguer des soins médicaux gratuits. La santé est l’un des gros problèmes
de ce pays; chaque année plus d’un million d’enfants meurent de la malaria, de
la lèpre ou d’autres maladies. Mon assistante, Evangelia, est infirmière de
profession; elle travaillait comme assistante d’un chirurgien de
l’œil.
Nous
n’avons pas de dispensaire ou de clinique, pas encore. Mais quand nous recevons
des médicaments, nous allons d’un endroit à l’autre – là où il n’y pas de
médecin. Le prêtre local annonce notre arrivée, et nous nous installons sous un
arbre ou dans un autre endroit approprié. Nous essayons de combiner
consultations médicales, catéchèse et études bibliques. Evangelia consulte et
distribue les médicaments que nous avons réussi à obtenir gratuitement de
sociétés pharmaceutiques en Grèce. Le but est d’atteindre en priorité les gens
qui sont trop pauvres pour aller chez le médecin. Nous sommes la seule Église du
pays à dispenser des soins gratuitement.
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Comment
financez-vous toutes ces activités?
Les
salaires du clergé sont payés par l’Orthodox
Christian Mission Center (OCMC, USA) et l’Apostoliki Diakonia de l’Église de
Grèce. Pour tout le reste, le fonctionnement du diocèse, les frais scolaires,
etc., je dois collecter des fonds en Grèce. Le patriarcat ne me donne quasiment
rien. Ce n’est pas facile. Surtout pour moi, avec ma pauvre santé, mes problèmes
de mobilité. L’une des difficultés, c’est d’assurer la continuité; on ne peut
pas faire des projets à moyen terme, car on ne sait jamais si on aura les moyens
nécessaires. C’est très fatigant, car il faut aller chaque année en Grèce
pendant plusieurs semaines. Il faut voyager dans le pays. À chaque endroit, il
faut obtenir la bénédiction de l’évêque local, puis l’accord des prêtres, pour
pouvoir parler du travail missionnaire dans les paroisses.
Les
gens nous aident beaucoup. Je suis toujours étonné de leur générosité, qui se
manifeste dans le nombre d’églises que nous sommes en train de construire et
dans cette maison où nous sommes maintenant et où je vis, et qui n’existait pas
il y a trois ans. Ils comprennent bien l’importance du travail que nous
accomplissons. Malheureusement, il faut le dire, ce n’est pas toujours le cas du
clergé. Les prêtres vivent souvent très repliés sur leur paroisse, avec un champ
de vision réduit à leur petit pré carré et troupeau. Mais quid du
commandement de Dieu d’aller faire des disciples de toutes les nations en les
baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit? Il y a là une carence, une
attitude qui n’est pas juste, pas conforme à l’Évangile. C’est bien de prendre
soin de sa paroisse, mais il faut élargir la conscience que l’on en a, acquérir
le sens de l’Orthodoxie comme réalité universelle et cosmique. Une fois qu’on a
couvert les besoins de sa paroisse, que fait-on de l’argent qui
reste?
Si
l’Église et ses clercs se réveillaient, le travail missionnaire pourrait se
répandre comme du feu, car nous pourrions y consacrer toute notre énergie plutôt
que de devoir courir le pays comme des mendiants. Il suffirait par exemple que
chaque paroisse de Grèce ou d’ailleurs, dans des pays nantis, décide de
parrainer une paroisse dans un pays de mission pauvre. Cela serait déjà un pas
énorme dans la bonne direction. Quelle paroisse ne peut donner 1000 euros par an
pour soutenir une communauté, payer les frais scolaires d’un enfant? Si ce n’est
pas possible, cela veut dire que quelque chose cloche.
Il
est temps que les orthodoxes comprennent que la mission est le devoir de tous.
Ce n’est pas seulement la responsabilité du patriarcat d’Alexandrie, de l’évêque
local ou de certains fidèles, mais de tous les orthodoxes, clercs et laïcs, qui
constituent le Corps du Christ.
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Les défis de
l’inculturation
L’un
des grands défis est l’inculturation de l’Orthodoxie en Afrique, l’émergence
d’une Orthodoxie authentiquement africaine…
Mais
elle l’est! L’Église orthodoxe n’est pas étrangère à l’Afrique. Elle est même
profondément africaine. Elle est, de fait, la vraie foi chrétienne africaine, la
plus authentique, car son fondateur, saint Marc l’Evangéliste, est né en terre
africaine et l’Église qu’il a établie au ier siècle à Alexandrie – la
première en terre africaine ‑ est l’Église orthodoxe, laquelle est l’unique et
originel Corps du Christ.
Selon
la tradition de l’Église, saint Marc est en effet venu en 42 à Alexandrie. Il y
a établi l’Église orthodoxe, dont il a été le premier évêque pendant 22 ans. Il
est mort martyrisé dans les rue de la ville par une foule de païens et enterré
dans un village voisin. Ses reliques ont été transportées en 828 à Venise par
des marchants; depuis lors, il est considéré comme le saint protecteur de cette
ville.
Malheureusement,
à partir de 641, l’Église a été réduite en esclavage par les Ottomans et ce
n’est qu’au XXe siècle qu’elle a pu recommencer à agir librement. À cause de
cela, de certaines réalités historiques et situations politiques au fil des
siècles, elle n’a pas pu se répandre comme elle aurait dû. Jusqu’en 1924, le
titre officiel du patriarcat d’Alexandrie était seulement «pour tout le pays
d’Egypte», mais pas «pour toute l’Afrique». Cela n’a été ajouté
qu’après.
Cela
dit, en même temps, du fait de cette «captivité», nous chrétiens orthodoxes
avons la tête haute en Afrique. Car nous n’avons jamais été associés à des
conquêtes coloniales. La Grèce n’a jamais conquis aucune nation africaine.
L’Église orthodoxe n’a jamais été instrumentalisée dans ce sens. En l’an 2000,
il y a eu un grand rassemblement de toutes les Églises chrétiennes à Accra.
Toutes ont demandé pardon au peuple ghanéen et africain pour leurs abus, leur
mauvaise instrumentalisation par les nations colonisatrices. Toutes sauf
l’Église orthodoxe. C’est la seule à ne pas s’être excusée, car nous n’avions
rien à nous reprocher.
Mais
concrètement, aujourd’hui, au-delà de cette pétition de principe historique,
comment voyez-vous cette question de l’inculturation?
La
première chose est d’apprendre la langue et la culture des gens, pour pouvoir
communiquer. Il faut traduire les textes des offices, sinon ils ne vont rien
comprendre à la richesse de la liturgie et des sacrements. C’est la règle des
conciles œcuméniques: la langue que les gens parlent est celle que l’Église doit
utiliser pour répandre l’Évangile. Les grands évangélisateurs du monde slave,
Cyrille et Méthode, sont même allés jusqu’à créer un alphabet. Voilà pourquoi la
première chose que j’ai faite en arrivant au Ghana, a été d’apprendre quelques
mots en twi pour pouvoir les utiliser dans la liturgie, et d’imprimer un
recueil des principaux offices en langue locale.
Il
faut du temps pour devenir un avec les gens, leur culture, leur façon de penser.
Mais ce n’est qu’une des dimensions de l’approche missionnaire. Car c’est
d’abord et surtout par la vie et l’exemple que se transmet la foi orthodoxe.
C’est par sa vie spirituelle, sa sainteté personnelle que l’on attire et
transmet. Il faut devenir comme un aimant. Il faut imiter le soleil qui rayonne
partout et dans toutes les directions, sur toute la terre, qui embrasse tout le
monde sans faire acception de personne. Nous devons rayonner par notre bon
exemple, notre vie vertueuse, voir les autres comme nos frères et sœurs et non
comme des étrangers, éviter de les offenser. Dans l’iconographie par exemple, il
faut trouver des modes d’expression adaptés. Ainsi, on ne peut pas représenter
Satan en noir, car ce serait blessant pour les gens; nous le peignons donc en
rouge.
Comment
voyez-vous l’intégration des coutumes locales et des pratiques culturelles
africaines dans l’Orthodoxie en Afrique?
Dans
le travail missionnaire, il ne faut pas avoir d’à priori. Il ne faut jamais
partir avec des idées négatives. Comme le disent les Pères, il y a une semence
de vérité dans chaque culture et nation. Il faut donc commencer par respecter la
culture des autres, apprendre leurs traditions. C’est en nous voyant les
respecter que les gens vont nous respecter à leur tour. Le but de l’Orthodoxie
n’est pas détruire la culture des autres, mais de la régénérer en lui donnant de
nouveaux symboles. On peut pour cela partir des symboles existants, faire comme
Paul avec le «Dieu inconnu». Il y a en effet des coutumes que nous pouvons
reprendre, des traditions sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour
atteindre les gens et les amener à nous. Pour être un bon missionnaire, il faut
être rusé comme le serpent: celui-ci est intelligent, car il sait user de sa
tête, la bouger pour éviter de se faire écraser.
Cela
dit, il faut du discernement. Car dans ces cultures locales, tout n’est pas bon
à reprendre et utiliser. Ainsi, tout ce qui a un lien avec le paganisme,
l’idolâtrie, doit être coupé, expurgé complètement, car cela appartient au
péché. Il est exclu par exemple de participer à des libations dans un temple où
l’on verse de l’alcool pour les ancêtres. Il faut nettoyer le terrain de tout ce
qui touche aux idoles.
Concrètement,
qu’avons-nous gardé ici, au Ghana? Nous avons autorisé les fidèles à chanter
leurs chants locaux, jouer du tambour, danser dans l’église, mais après la
liturgie. Quand nous arrivons dans un village, en tout premier lieu, nous allons
saluer le chef en lui offrant une bouteille d’eau-de-vie. De même, quand nous
avons une réunion, je me tiens au centre comme évêque, avec à ma gauche le chef
du village et les anciens; les jeunes sont en face.
Dans
cette perspective d’une Orthodoxie bien enracinée au Ghana et en Afrique en
général, ne faudrait-il pas cesser de parler d’Église grecque-orthodoxe,
comme cela figure partout?
C’est
ainsi depuis 2000 ans. C’est une tradition. Le patriarcat d’Alexandrie est
hellénophone. C’est la même chose à Jérusalem et à Antioche: le patriarcat est
dit «grec-orthodoxe», même si la majorité des fidèles est arabophone. En fait,
pendant longtemps, le Patriarcat d’Alexandrie s’appelait Patriarcat orthodoxe en
Égypte. C’est le gouvernement grec qui, en 1935, l’a forcé à rajouter grec dans
son nom. Ici, on parle généralement de l’Église orthodoxe au Ghana; dans les
documents et sur les enseignes, on a gardé «grec» parce que l’on appartient au
Patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie et de toute
l’Afrique.
Mais
pourquoi faire flotter le drapeau grec à côté d’une église de village, comme
nous l’avons vu à Odina-Oguaa? Quel peut être le sens d’un tel symbole national
pour des Africains?
Non,
non, c’est le drapeau du Patriarcat qui ressemble effectivement au drapeau grec,
mais avec un insigne particulier au milieu.
Non,
je vous assure, c’était bien le drapeau grec…
Alors,
c’est parce que ce sont des Grecs qui ont fourni les fonds pour bâtir l’église.
Par exemple, nous sommes actuellement en train de construire un église avec de
l’argent reçu de Chypre. Pour honorer le donateur, nous mettrons le drapeau
chypriote à côté du drapeau ghanéen. Nous ne le faisons donc pas dans un sens
nationaliste.
On
dit souvent que les Africains qui embrassent la foi chrétienne restent plus ou
moins, quelque part, animistes dans l’âme.
Pas
dans l’Église orthodoxe. Ici, pour pouvoir être baptisé, le nouveau fidèle doit
s’engager à renoncer totalement aux croyances animistes, cesser de faire des
sacrifices pour les ancêtres.
Etant
donné le nombre de prêtres que vous avez ordonnés depuis votre arrivée,
j’imagine que la constitution d’un clergé local est pour vous un élément
important…
C’est
la clé. L’œuvre des saints Cyrille et Méthode a été, de leur vivant, un échec.
Leur succès est venu après eux, après leur mort. En quoi a-t-il consisté? En ce
qu’ils ont ordonné 70 prêtres, des disciples qu’ils avaient bien préparés. C’est
aussi ma vision, ma stratégie. Peu m’importe de construire des églises. La
brique et les pierres ne sont pas essentielles. Ce qui m’intéresse, ce sont les
pierres vivantes. Ma priorité c’est d’ordonner des prêtres bien formés, fidèles
et obéissants. C’est à travers eux que se fera l’implantation orthodoxe en
Afrique. Car nous ne sommes pas ghanéens, nous ne parlons pas la langue, nous
serons toujours des étrangers.
A
quand des évêques indigènes?
Actuellement,
il y a deux évêques noirs dans l’Église orthodoxe en Afrique, en Ouganda et en
Tanzanie. Ce n’est que lorsque l’Église orthodoxe sera devenue forte, nombreuse,
bien ancrée, avec un clergé suffisant, que l’on pourra ordonner une hiérarchie
locale. Je vous signale que le Patriarcat d’Alexandrie est le seul à avoir un
synode multinational, avec des archevêques grecs, chypriotes, arabes et
africain. Mon rêve, c’est effectivement qu’à l’avenir l’Église orthodoxe soit si
bien répandue et installée en Afrique, si mûre théologiquement,
ecclésiologiquement et administrativement, qu’on pourra avoir des évêques
locaux.
Et
des monastères?
Pour
le moment, il n’y a qu’un monastère orthodoxe en Afrique noire, au Congo. L’un
de mes projets est aussi de créer un monastère au Ghana. Un chef veut me donner
une colline près de Kumasi, avec une grotte énorme. Mais à une condition: que je
construise une église. Ce serait l’occasion de commencer un monastère, mais il
faut pour cela que je trouve la bonne personne. Cela pourrait aussi être un lieu
pour ma retraite.
Comment
se déroule la vie orthodoxe dans les villages?
Les
gens, qui se lèvent très tôt – vers 4h30-5h00 – vont très souvent à l’église le
matin avant de partir aux champs; on célèbre les matines ou on lit les heures.
Deux à trois fois par semaine, mais chaque jour pendant le Carême, il y a aussi
quelque chose le soir, après le travail: un office, une prière, des réunions de
jeunes, de femmes, du chœur, du conseil de paroisse. C’est souvent l’occasion de
faire de la catéchèse, de donner un enseignement sur tel ou tel aspect de la vie
spirituelle et ecclésiale.
Il
y a des groupes de femmes et de jeunes quasiment dans chaque paroisse. En août a
lieu un rassemblement qui réunit plusieurs centaines de jeunes. Mais cela ne
ressemble en rien aux camps orthodoxes tels qu’ils se déroulent en Europe. Le
programme est complètement spirituel. Le but n’est pas le plaisir, de passer un
bon moment ensemble, mais de fortifier les jeunes dans la foi orthodoxe. Il y a
des cours, des études bibliques, des groupes de prière, des services
liturgiques, mais pas de jeux. Chaque matin, à 4 heures, les jeunes se lèvent,
prennent les tambours et «attaquent» les villages environnants. Ils parcourent
les rues en proclamant à haute voix leur foi: «Nous sommes orthodoxes, nous
appartenons au patriarcat grec-orthodoxe d’Alexandrie, l’Église de saint Marc
l’Evangéliste. Nous sommes devenus orthodoxes, car c’est l’Église de la vraie
foi chrétienne.» Puis ils reviennent au camp et commencent les offices.
Cela dure trois à quatre jours.
Un
autre grand moment de l’année est l’«Annual spiritual revival» à la fin du mois
de janvier à Formena. Une manifestation étonnante qui dure du jeudi au dimanche.
Elle réunit plus de 2000 fidèles venus de tout le pays. Du matin au soir, les
gens glorifient Dieu, rendent grâce d’être devenus orthodoxes, témoignent de
leur foi, racontent leur histoire et conversion, les miracles dont ils ont été
gratifiés pendant l’année. Il y a des prières d’intercession pour les malades et
les morts, des bénédictions, des onctions, des ateliers. Nous pratiquons la
confession publique comme cela se faisait dans l’Église
primitive.
Nous
prions toute la nuit du samedi au dimanche. Nous commençons sur une petite place
du village, à 21 heures, avec la vigile. Puis, à minuit, nous commençons la
liturgie. À la grande entrée, nous partons en procession avec les saints dons et
faisons une halte sous une croix, où nous commémorons les vivants et les morts.
Tous s’agenouillent et lèvent les mains pour recevoir l’absolution. Puis nous
rejoignons une chapelle dédiée à l’archange Raphaël où nous terminons la
liturgie. Il faut le vivre pour le croire.
Les
femmes, bien qu’étant souvent exploitées, jouent un grand rôle dans la société
africaine. L’expérience de la coopération au développement montre qu’elles ont
un formidable potentiel de créativité, d’initiative et de leadership. Comment
voyez-vous leur place et leur rôle dans l’Église orthodoxe, qui reste très
patriarcale dans ses structures et sa mentalité?
Il
faut donner aux femmes le rôle et la place que le Christ et les apôtres leur ont
donné. Et cette place et ce rôle, c’est la pleine égalité. Quel est le plus beau
et grand cadeau que Dieu a fait à l’homme? La femme. Il l’a tiré non de sa tête
(pour qu’elle ne lui soit pas supérieure), non de son dos (pour qu’elle n’ait
pas à la suivre), non de ses pieds (pour qu’elle ne lui soit pas inférieure),
non de sa poitrine (pour qu’elle n’ait pas d’emprise sur lui), mais de sa côte
pour être à côté de lui, dans une parfaite égalité.
Contrairement
à ce que vous laissez entendre, il n’y a pas de plus grande égalité entre
l’homme et la femme que dans l’Église orthodoxe. La preuve, c’est la place
qu’occupe la Mère de Dieu, la vénération que nous avons pour elle. Elle a porté
dans son sein le Fils de Dieu, elle l’a nourri, tenu dans ses bras, éduqué,
soigné. Personne n’a été plus proche du Christ, n’a été aussi privilégiée
qu’elle.
Personne,
de fait, n’aurait été mieux placé que la Mère de Dieu pour devenir évêque.
Simplement, le Christ n’a pas estimé nécessaire de lui confier une
responsabilité, une autorité administrative. La tradition apostolique est restée
fidèle à ce choix.
Cela
dit, je regrette et je pense que c’est une erreur que l’on ait renoncé au
diaconat féminin. Je suis en faveur de sa restauration. Mon expérience est que
les femmes donnent et apportent souvent plus à l’Église que les hommes; elles
sont souvent plus généreuses, créatives. L’Église doit encourager cette
créativité, les hiérarques doivent vaincre certains préjugés, se départir de
leur complexe de supériorité pour donner toute leur place aux femmes – des
responsabilités dans la catéchèse, la diaconie, comme cheffe de chœur –, leur
ouvrir encore davantage les portes des séminaires de théologie,
etc.
L’œcuménisme en
questions
Qu’en
est-il de l’œcuménisme au Ghana? Comment le
voyez-vous?
Nous
sommes membres du Conseil chrétien des Églises du Ghana. Nous participons aux
réunions. Nous nous devons d’avoir de bonnes relations avec les autres, car
c’est un acte d’amour. Cependant, cela ne doit pas se faire au prix de la
vérité. Nous ne devons jamais transiger avec la vérité et la foi orthodoxe juste
pour entretenir de bonnes relations avec les autres.
Je
me souviens d’une réunion œcuménique à laquelle j’avais assisté en son temps, où
un évêque luthérien américain disait en introduction, pour poser le décor:
«Il est clair qu’à la fin de cette séance, aucun luthérien ne sera devenu
orthodoxe et aucun orthodoxe luthérien.» J’ai réagi tout de suite:
«S’il en est ainsi, quel est le sens de cette réunion? Ne sommes-nous pas là
pour discuter de la vérité? Et pourquoi en discuter si ce n’est pour l’accepter
et s’y convertir?»
Oui,
l’Orthodoxie est la seule vraie Église. C’est un fait. C’est le cœur de notre
foi. Le dialogue pour moi n’a de sens que si l’on confesse et accepte la vérité.
C’est notre devoir de dire la vérité et de convaincre les autres de l’accepter.
Amener l’autre à la vérité est un commandement d’amour. Si j’aime vraiment mon
frère, je ne veux pas qu’il reste dans l’erreur, je veux l’amener à la vérité.
Comment? Les saints et les martyrs qui sont morts pour la vérité et la foi – la
vraie foi dans le vrai Dieu – et qui ont permis à l’Église orthodoxe de survivre
pendant 2000 ans, nous montrent la voie. Nous devons témoigner de cette vérité
par notre exemple, notre attitude. Convaincre l’autre, en effet, suppose que je
sois moi-même un bon témoin de la vérité, plein d’amour, d’humilité, de pureté,
de courage; la connaissance et la capacité au débat théologique viennent
seulement après, en troisième lieu, après la vie vertueuse et la
foi.
J’ai
été frappé l’autre jour par le ton triomphaliste de votre homélie après les
baptêmes auxquels nous avons participé dans le village de Breman, votre
insistance sur la lutte contre l’hérésie. Dans un autre sermon, reproduit dans
l’une des brochures que vous m’avez données, vous dites que les dangers
représentés par les bêtes sauvages et les catastrophes naturelles ne sont rien
en comparaison de ceux que représente l’hérésie.
Bien
sûr, car l’hérésie sépare l’homme de Dieu et le conduit à la perdition
éternelle. Soyons clairs: il n’y a qu’une seule Église, et c’est l’Église
orthodoxe. Toutes les autres ne sont pas véritablement des Églises, mais ce que
nous pouvons appeler des croyances chrétiennes, plus ou moins éloignées de la
tradition apostolique.
Il
est faux, inacceptable d’affirmer que tous ceux qui se disent chrétiens croient
au même Dieu. Ce n’est pas vrai. Car si c’était vrai, alors l’Église serait une.
Il n’y aurait qu’une seule Église, car notre Dieu n’est pas le Dieu des
divisions, mais de l’unité et de la Vérité, de l’unité parce que de la Vérité.
Là où il y a division, c’est qu’il y a du mensonge; et Dieu ne peut être présent
là où il y a du mensonge. Relisez les Ecritures!
Exprimer
la Vérité n’est pas du fanatisme, mais un acte d’amour. Si je ne crois pas cela,
qu’est-ce que je fais ici? J’aurais mieux fait de rester chez moi. Cela aurait
été plus confortable et agréable.
Quelle
est pour vous la voie vers l’unité des chrétiens?
L’unité
de l’Église ne vas pas venir du dialogue; c’est du vent. Cela fait des siècles
qu’on parle, dialogue, mais cela ne change rien, car chacun, au fond, a et garde
son opinion. Moi, je dis toujours: «Mettons sur la table nos problèmes et
divergences, et comparons avec ce qui existait du temps de l’Église indivise:
que chacun alors enlève ce qu’il a ajouté et ajoute ce qu’il a enlevé depuis, et
l’Église sera une.»
Comment
voyez-vous le développement de l’Orthodoxie en
Afrique?
Si
nous travaillons correctement, l’Orthodoxie a un grand avenir au Ghana. Pas
seulement ici d’ailleurs, mais dans toute l’Afrique et dans le monde entier. Car
les gens ont soif de la vérité et de la vraie foi. C’est notre devoir de la
répandre sur toute la terre.
Propos recueillis le 23 juillet 2003 à Accra
(Ghana) et mis en forme par Michel-Maxime Egger diacre dans le Patriarcat
œcuménique de Constantinople, directeur des Editions le Sel de la Terre et
coordinateur de politique de développement à la Communauté de travail des œuvres
d’entraide en Suisse.Voir aussi
Vérité Cherchant: Le cours passionnant de l'Eglise orthodoxe au Ghana
Akooaba! It means “Welcome”
The Orthodox Church in Ghana & Ivory Coast
Facebook/Orthodox Church In Ghana
Eglise Orthodoxe de Côte d'ivoire - Facebook
Orthodox Ghana, Orthodox Ivory Coast
Eglise Orthodoxe
Église orthodoxe en Afrique
Héritage orthodoxe
Théosis (déification)
St MOÏSE L'ÉTHIOPIEN (ou "Le Noir" ou "Le Fort") et... Shawn "Thunder" Wallace
Eight principal areas of convergence between African spirituality and Ancient Christianity
"THE WAY" - An Introduction to the Orthodox FaithRoman Catholics
Protestantism
La Mère de Dieu, l'Eglise Orthodoxe et les peuples africains
Les dits de Mère Stavritsa (1916-2000)
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