orthodoxologie.blogspot.gr (I)
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après oodegr.com
In English A Native American chief’s ‘secret path’ to Orthodoxy
TSIDTODAGHSAWEN ne Logos* keaghne,
etho Tehovahne yekayendaghkwe ne Logos, ok
oni Logos ne naah Yehovah.
etho Tehovahne yekayendaghkwe ne Logos, ok
oni Logos ne naah Yehovah.
Prologue de l'Evangile de saint Jean
en langue indienne Mohawk
Samedi
soir. Très peu de lumières étaient allumées. Dans la cathédrale russe
de Saints Pierre et Paul, les vêpres venaient de commencer. Les
silhouettes sombres de quelques fidèles qui assistaient au service
étaient devenues plus distinctes car des cierges avaient été allumés, un
à un, sur leurs supports. L'iconostase de l'autel était très imposant,
il avait été sculpté par des artisans expérimentés, au début du
siècle...
C'était
la deuxième fois que je venais aux Vêpres, il y a de cela des années...
Les paroles de la prière "Lumière joyeuse" en slavon donnaient une
sensation de paix intérieure et de détente. Tout semblait être en prière
à ce moment-là,
dans ce jour qui était fini et ce jour qui devait venir. Après la folie
de la journée, ce refuge de louange calmait effectivement les bêtes
sauvages de l'esprit...
Dans
la faible pénombre, je pouvais distinguer quelques-uns des profils de
ceux qui étaient là: une vieille dame russe avec sa petite-fille, un
homme grand et maigre d'âge moyen, une jeune fille de près de quinze
ans, une jeune famille avec ses deux enfants... Et soudain, mon
attention fut attirée par un personnage près de la grande fenêtre.
Directement au-dessous, je distinguai une silhouette qui était
complètement différente de toutes les autres. Il s'agissait d'un Indien
de cinquante ans, vigoureux, aux traits caractéristiques, avec des
cheveux longs attachés en queue de cheval qui atteignaient sa taille.
Mon regard s'arrêta sur lui... Quel étrange personnage ! J'imaginai que
c'était seulement un visiteur.
À la fin de l'office, je ne pus pas lutter contre l'envie de savoir. Je m'approchai de lui, désireux de le rencontrer.
-Yannis, lui ai-je dit en anglais. Bienvenue...
- Vladimir, répondit-il.
- Je suis grec. Et vous? Lui ai-je demandé.
- Moi aussi, répondit-il.
J'étais abasourdi... C'était la dernière chose que je m'attendais à entendre!
- Parlez-vous grec? Demandai-je.
Il fit une pause pour réfléchir un moment, puis il cita [le prologue de l'Evangile de saint Jean] en grec:
- "Au commencement était le Logos et le Logos était avec Dieu, et le Logos était Dieu."
En finissant cette phrase, il éclata de rire. Je ne savais quoi dire.
- Je suis indien, dit-il brusquement. Mais de toute façon, je me sens aussi russe et grec et serbe et roumain, parce que... je suis orthodoxe...
Une lueur apparut dans son œil, comme dans mon coeur ...
C'est ainsi que Vladimir et moi nous nous sommes rencontrés. Son vrai nom était Frank Natawe, avant de devenir orthodoxe et d'être baptisé sous le nom de Vladimir. Je mourrais d'envie d'entendre l'histoire de sa vie, à la fois par curiosité ainsi que par intérêt véritable...
Beaucoup
plus tard, nous sommes devenus amis. Nous avons partagé de nombreuses
conversations et promenades ensemble, en particulier dans son village
indien. Il m'a montré des voies et des manières de faire totalement
inconnues pour nous les blancs. Et toujours de manière simple et sans
prétention. Sans aucune trace d'arrogance. Quand j'étais avec lui, j'ai
toujours eu la forte sensation d'être à l'école, et chaque fois que j'ai
admis cela devant lui, il m'a toujours dit que toutes les belles choses
étaient à tous...
Cette
première période est devenue inoubliable: quand j'étais emporté par mon
enthousiasme juvénile et que je n'arrêtais pas de lui poser des
questions difficiles, il répondait toujours calmement:
- Je ne sais pas - peux-tu me le dire?
Un jour, quand j'en eu assez d'entendre "Je ne sais pas", je le priai de me dire quelque chose, alors, il montra un peu de pitié et dit:
- Eh bien, si tu insistes, je vais te le dire, après que j'aie d'abord demandé à mon amie.
Il bondit et puis se coucha sur le sol, plaça son oreille contre la terre.
- Que fais-tu? Demandai-je.
- Je demande à la terre, dit-il, et avant que je puisse me remettre de ma surprise, il ajouta un peu hésitant:
- Comme Aliocha Karamazov.
Je
n'ai jamais insisté à nouveau pour avoir des réponses. Je pense qu'avec
lui, je vivais tout la surprise d'un éclair soudain qui donne naissance
à une douce pluie qui nourrit la terre...
Cela fait quelque temps maintenant, que Vladimir
nous a quittés. Son décès (ainsi que ses dernières volontés et son
testament) m'a bouleversé. Maintenant que le sentiment de sa présence,
loin de disparaître dans l'oubli, apparaît devant moi de temps en temps,
j'ai pensé que je devrais mettre par écrit l'ensemble de ses incidents,
images, souvenirs, paroles et expressions, pour esquisser un portrait
de sa présence parmi nous... Espérons donc que mon oreille percevra
aussi... le silence tumultueux de la terre mère de Vladimir, Karamazov pour moi...
Il est né dans la réserve indienne de Caughnawaga,
juste à l'extérieur de Montréal, où il a vécu toute sa vie, jusques au
jour de sa mort. Son village compte 5.000 Indiens aujourd'hui. Il a été
construit par le gouvernement, à côté de la rivière, et abrite la plus
grande partie des Indiens de cette région. Les Indiens, comme seuls
vrais autochtones d'Amérique, avec les Esquimaux,
jouissent de privilèges et de soins spéciaux, en raison du fait qu'ils
ont cédé de vastes zones de leur "mère la terre", comme ils le disent, à
leurs frères de race blanche.
Ces privilèges (comme le fait de n'avoir pas besoin d'un passeport tout en bénéficiant de l'Etat-providence)
sont parfois interprétés comme une tentative intentionnelle des Blancs
pour garder les Indiens sans instruction, ce qui peut-être observé sur
une grande échelle. Le pourcentage d'alcoolisme est très élevé. La lutte
pour la survie en tant que groupe, est leur souci quotidien, ainsi que
la préservation de leurs traditions, dont ils sont très fiers. Ils sont
régis d'une manière unique, qui aurait beaucoup à apprendre à la
politique "civilisée" et aux structures sociales.
L'autorité
suprême est la confédération de toutes les tribus indiennes. Il existe
un respect envers toutes les tribus indiennes. Il existe un respect
envers les chefs et les anciens, et les femmes âgées de chaque tribu, de
génération en génération. Leur amour et leur respect pour l'autre est
le fondement de la Confédération.
Saint Jacob Netsvetov, amérindien de l'Alaska (d'ici)
Dans le village de Caughnawaga il y a essentiellement trois tribus indiennes. La plupart sont cependant Mohawks. Le village existe depuis environ 1600 et abrite le centre principal de la tribu des Mohawks. Les dernières générations sont le plus souvent impliquées dans la construction métallique et le bâtiment.
"Notre" village, m'a dit Vladimir,
"ainsi que d'autres réserves indiennes a été transformé de façon à
former un protectorat catholique romain au 18ème siècle. Les
missionnaires catholiques ont effectivement essayé par tous les moyens
de convertir par la force notre communauté tout entière. Pas avec
l'amour, mais avec un nœud coulant autour du cou. Ils ont foulé aux
pieds les traditions séculaires et ils ont utilisé les autres comme
autant de tremplins pour leurs propres desseins. Moi-même, à l'âge de 32
ans, j'étais resté sur ce chemin. Comme ma mère avait l'habitude de le
dire (c'était un chef tribal des personnes âgées de notre
tribu)"Pendant le jour, [sois] catholique romain aux yeux du monde et de
nuit, [sois] Indien, pour les yeux de l'âme." Mais à cet âge de 32 ans,
Je ne pouvais pas tolérer ce genre de restriction, ce nœud coulant que
je portais autour du cou, aussi je me suis révolté à ma façon...
J'ai
fait des recherches sur nos racines, j'ai appris toutes nos langues
maternelles, j'ai étudié dans les universités de l'homme blanc (ce qui,
pour un Indien de ma génération, était une chose très inhabituelle).
Pendant des années, ils m'ont eu comme maître de conférence itinérante
de linguistique comparée. Assez souvent, j'ai été assez malhonnête de
jouer au clown à leurs jeux universitaires, car pour eux, j'étais une
espèce d'oiseau rare, exotique, avec un autre type de plumage. J'avais
l'habitude de comparer nos mots avec leurs équivalents français ou
anglais, nos habitudes avec les leurs. Il y avait des fois où je me
sentais observé comme des archéologues observent des fossiles. Pour moi,
cependant, ces réunions, ces rencontres culturelles quelle qu'en ait
été l'issue, étaient à la fois joie et douleur. Ma révolution tonnait
encore en moi, parce qu'elle était rendue muette, comme le pas d'un
lapin... Ma mère, pilier de notre communauté, a été pour moi une source
de sagesse et de douleur immense. Elle était mon ... staretz Zossime indien..."
(Il prit une respiration profonde et constante...)
"Mon chemin vers l'Église
orthodoxe a été un cheminement "secret", comme on dit dans notre
langue. Il vint un moment, que j'ai été pris dans son filet, et depuis
lors, j'ai cheminé très discrètement, portant une croix très lourde. Ce
passage s'est fait pour moi par la linguistique. Elle a toujours été le
sujet qui m'a le plus impressionné. En prenant des cours de
linguistique, j'ai été impressionné, et quand il m'est arrivé de lire la
vie des Saints Cyrille
and Méthode, qui sont connus comme Apôtres des Slaves, j'ai été
particulièrement intrigué par l'alphabet cyrillique et par voie de
conséquence, par la langue slavonne.
J'ai demandé à mon professeur, s'il n'y avait une chance je puisse
entendre parler le slavon. Il a suggéré que je me rende dans l'une des
églises russes. J'ai appelé l'une d'elle, mais je n'ai entendu que le
répondeur.
J'ai téléphoné le lendemain, et une voix amicale m'a informé
que les vêpres avaient lieu à 7 heures du soir, et que le le service du
dimanche avait lieu à 10 heures du matin. J'ai demandé si je pouvais y
assister. Il m'a répondu bien sûr que je pouvais le faire. Je lui ai dit
que je n'étais ni russe, ni orthodoxe. Il m'a répondu que la Liturgie
orthodoxe n'était pas seulement pour les Russes ou seulement pour les
orthodoxes, mais pour tous les peuples. Alors, j'ai pris mon courage et
je suis allé un samedi soir pour écouter le slavon parlé et rencontrer
le prêtre, qui avait parlé si agréablement. C'était un hiéromoine du Monténégro en Serbie. Son nom était Père Antoine...
Il mort maintenant... Eh bien, donc le premier samedi pendant lequel
j'ai assisté aux vêpres orthodoxes dans la cathédrale des saints Pierre
et Paul, j'ai ressenti quelque chose qui était sans précédent. En
regardant les icônes, en écoutant les mélodies, en observant la enclins
de pénitence et les prosternations, le parfum de l'encens qui flottait
dans l'atmosphère, tout me rappelait que j'avais découvert "la Voie
secrète... "
"Vous
n'allez pas le croire, mais, de temps en temps, je peux percevoir des
parallèles entre les traditions indiennes et la tradition orthodoxe.
Quelque part en moi, cette découverte a rempli ma culture indienne et
l'a complétée. Au début, je flottais sur les nuages. Au cours de ma
première Liturgie, j'ai demandé si je pouvais rester, après les
bénédictions pour les catéchumènes... Ils m'ont dit: vous pouvez rester.
Alors je me suis assis comme un chien indien! Depuis lors, j'ai
commencé à y aller plus fréquemment. Dans un premier temps, le dimanche
seulement, puis le samedi, et plus tard, en semaine, quand il y avait
des fêtes importantes. Ce n'est que peu de temps plus tard que j'ai
remarqué que la confession avait lieu le soir, après les vêpres. C'était
la période du Carême. A la fin, ils ont tous demandé pardon au prêtre.
Il a placé son étole sur la tête et les a bénis avec le signe de la
croix. J'étais dans la file, mais ils ont dit:
-Tu ne peux pas, tu n'es pas orthodoxe. Il s'agit d'un sacrement.
- Mais notre vie entière est un sacrement, ai-je dit.
Je réfléchis encore, et leur demandai:
- Alors, comment puis-je devenir orthodoxe?
- Parles-en avec le prêtre, ont-ils suggéré.
Peu
de temps s'était écoulé, lorsque j'ai décidé que je voulais devenir
orthodoxe. Le jour où cela devait avoir lieu, il y avait une tempête de
neige qui ne me permit pas de quitter le village. Cela fut reporté à la
fête de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu. Et voilà comment c'est
finalement arrivé... On m'a donné le nom de Vladimir.
Beaucoup
plus tard, quand je me souvins de mon entrée dans l'Eglise orthodoxe,
je retrouvai dans mes souvenirs la figure imposante d'un prêtre serbe,
qui avait visité notre village, quand j'étais jeune. Son apparence et
son attitude avaient laissé une impression profonde en moi. Je me
souviens de ma mère qui avait fait cette remarque:
-" Maintenant, voilà quelqu'un qui ne fait pas de propagande avec sa vérité..."
II
Takwaién:a karonhiá:ke tehsí:teron
Aiesahsén:naien
Aiesawenniióhstake
Aiesawennaráhkhwake nonhwentsiá:ke
Tsi ní:ioht né karoniá:ke tiesawennaráhkhwa
Takwá:nont né kenwénte
Niationnhéhkwen, nia'tewenhniserá:ke
Sasa'nikónr:hen né ionkwarihwané:ren
Tsi ní:ioht ní:'i tsonkwa'nikór:henhs
Bothé:nen ionkhi'nikonhrasksá:tha nón:kwe.
Nok tóhsa aionkwa'shén:ni né karihwané:ren
Akwé:kon é:ren shá:wiht né io'taksens
Asekenh í:se sáwenhk né io'taksens
Asekenh í:se sáwenhk né kanakeráhsera'
Ka'shatstenhsera, kaia'tanehrakwáhtshera
Tsi nienhén:we e'thó naiá:wen
Beaucoup
de temps s'était écoulé, lorsque je décidai de lui rendre visite à
nouveau. Cette fois, j'y suis allé avec deux de mes amis dans une petite
voiture. Equipés de magnétophones et de microphones, nous sommes partis
par un matin ensoleillé pour son village de Caughnawaga. Il avait
suggéré que l'on se rencontre à la station de radio des Indiens car il
était animateur à la radio depuis plusieurs années, et il nous avait
promis des promenades et des conversations sur leur territoire.
Nous
l'avons trouvé à la station de radio du village, avec des écouteurs sur
les oreilles, faisant la lecture de la prière du matin dans chaque
langue indienne. Puis en français et en anglais. Naturellement son
auditoire n'a pas... pu détecter qu'il faisait le signe de croix
orthodoxe.
Nous
avons attendu avec respect qu'il ait fini... Il a enlevé son casque et
s'est approché de nous ... Il était plus bavard que d'habitude, et plein
d'entrain.
-
Que voudriez-vous que je vous dise? A-t-il demandé chaleureusement. Et
que pourriez-vous jamais avoir eu envie d'apprendre de moi?
- Dis-nous ce que tu veux, a répondu Gregory. Disons, par exemple, quelque chose sur ton peuple, tes fêtes, ta mission...
- Tu vas trop vite, interrompit-il. Une chose à la fois. Eh bien, mon peuple ...
Il
lui a fallu un certain temps pour formuler sa réponse. Il était assis
dans un fauteuil, mais a estimé qu'il n'était pas confortable pour
lui... il l'a abandonné et s'est assis sur le porche avec nous... il
préférait être sur le même plan que nous...
"Mon
peuple est simple, comme sa nourriture. Le chef de la tribu est un
homme, mais il est élu par le conseil des femmes agées de la tribu. Tous
nos rituels de groupe ont lieu dans la "longue maison". Elle a deux
portes. Les hommes entrent par la porte de l'Est et les femmes par celle
de l'Ouest. Il s'agit d'un édifice simple, comme le sont la plupart de
nos rituels. Lors de nos mariages, la bénédiction des anciens fait
partie intégrante du rituel. Au cours de nos funérailles, tant pour les
hommes que pour les femmes, lorsqu'ils sont amenés dans la "longue
maison" ils entrent par des portes distinctes, mais la tête du défunt
fait toujours face à l'Est. Après neuf jours, nous préparons le repas de
funérailles, mais sans sel... "
Tout
à coup il se leva brusquement, parce que le disque qu'il avait choisi
pour être joué à la radio était bloqué. Il a mis un autre disque, a fait
une annonce, et il est revenu vers nous...
"De
quoi parlait-on? Ah, oui! Les rituels. Je vais vous montrer la longue
maison, avant qu'il ne fasse trop sombre... Alors, nos célébrations...
L'année entière est une célébration (il éclate de rire). Nous avons la
fête de la moitié de l'hiver (qui dure quatre jours), nous avons le
Festival de la neige, le festival de la première floraison, de la
première récolte, c'est-à-dire des baies, le festival de la moisson
abondante (Thanksgiving), le festival du battage (4 jours), le festival
du surplus, de la pluie et des semailles, et le cycle recommence...
C'est quelque chose comme un calendrier ecclésiastique de notre terre
sainte... "
Il prit une autre respiration profonde et continua:
"Nous
ne parlons pas beaucoup, et nous ne mangeons pas beaucoup, nous ne vous
fâchons pas souvent, nous aimons ce qui nous a été donné et nous
remercions en permanence pour les dons généreux..."
- Est-ce que par hasard tu aurais du tabac? M'a-t-il demandé.
- Non, dis-je.
-
Vous savez, nous mâchons notre tabac, en d'autres termes, nous le
mangeons. Nous ne le fumons pas. Lorsqu'on le fume, il se transforme en
air, tandis que si on le mange, il devient un avec nous, et l'on bénit
la terre qui nous l'a donné... Maintenant, que m'as-tu demandé d'autre?
Ah, oui! A propos de ma mission...
"Que
puis-je dire? Mon peuple en a eu assez des missionnaires. Ils viennent
ici depuis des années, principalement pour prendre plutôt que pour
donner... Ils n'ont jamais montré aucun intérêt à ce que nous avons. Ils
ont juste apporté leur rouleau compresseur, ils ont tout aplati, puis
ils se sont embarqués pour faire leurs ... semis évangéliques.
Mais
ce Serbe était différent. Il a effectivement donné quelque chose par sa
présence... Il n'a rien pris de nous, sauf un morceau de notre cœur.
C'est ce que j'ai aimé, quand j'ai lu plus tard, l'histoire de saint
Germain d'Alaska et des missionnaires orthodoxes parmi les Eskimaux...
il est impossible pour l'esprit de ne pas faire de comparaisons... quand
bien même il essaierait de toutes ses forces de ne pas le faire.
Je
me souviens encore de ce jésuite, qui m'a dit en face qu'on lui avait
demandé d'enseigner la spiritualité. Quand il a quitté notre maison, ma
mère a secoué la tête en signe de désapprobation, en disant: "Nous, mon
enfant sommes un peuple spirituel, tandis que lui, même si son Christ
venait à lui lui, il Le ferait s'asseoir pour lui prêcher..."
- Y a-t-il d'autres orthodoxes parmi les Indiens? A demandé à nouveau Gregory.
-
J'ai rencontré un Esquimau orthodoxe à Plattsburg et un de plus - un
très grand Mis Mac. Il y en a peut-être d'autres, je ne suis pas au
courant. Mais à l'hôpital indien nous avons deux médecins serbes, les
Moscovitch. Ces gens sont de véritables joyaux, ils ont un amour
particulier pour notre monde, et ils offrent toute leur aide. "
Lesley le regarda droit dans les yeux.
-
Parle-nous si tu le veux de cette histoire avec les masques indiens *.
C'était dans tous les journaux et ils ont tous évoqué ton nom. Qu'est-il
arrivé exactement?
Vladimir assis, les jambes croisées, et après avoir pris quelques minutes pour réfléchir, me répondit:
"Pour
nous, ces masques sont sacrés. Nous les gardons toujours dans
l'obscurité, et nous les protégeons avec un tissu de soie. Ils
représentent... le personnage saint que nous recherchons. Nous le
trouvons dans le silence, dans l'obscurité, où l'on trouve aussi la
lumière de notre âme. Notre âme n'est jamais affichée dans des
expositions, ou en éclairage artificiel... Ceux qui ont organisé
l'exposition ont perdu tout sens de ce qui est sacré, et c'est pourquoi
ils s'efforcent de "doucement" le supprimer de nos âmes aussi... Nous
aimons la terre, parce qu'elle sait se taire et être fructueuse. Nous
avons appris à l'aimer avec humilité, et à l'honorer... C'est quelque
chose comme la Sainte Mère de l'Orthodoxie... puisque vous aimez les
analogies. Mais, j' en ai trop dit... Levez-vous à présent, et je vais
vous montrer mon village... "
III
Nous
sommes montés dans la petite voiture, et je me suis assis à la place du
chauffeur. Vladimir était copilote. Il a commencé à nous montrer tous
les points de repère:
«Ici, dans le centre du village, vous pouvez voir l'église catholique. Elle est dédiée à Sainte Kateri Tekekwitha,
une femme indienne que le prêtre a proclamé sainte. Nous gardons ses os
dans cette église, ils accomplissent des miracles. Il s'agit d'un
pèlerinage pour les laïcs. Sa vie est belle comme un conte de fées...
Pour moi, c'était une folle-en-Christ... C'était une folle pleine de
grâce... Elle se roulait dans la neige pour purifier son cœur... Mes
compatriotes du village qui sont devenus catholiques ne sont pas
particulièrement friands de la propagande catholique, mais ils montrent
révérence à leur sainte, c'est leur pression sur le Vatican qui a amené
sa béatification... A côté de l'église, il y a un petit musée.
Là-dedans, vous trouverez une carte de la confédération, qui décrit en
détail l'ensemble des tribus indiennes, les symboles, les chiffres, les
endroits d'où ils proviennent, leur parcours historique, leurs
langues... Tout est devenu une partie du... musée... Maintenant tourne à
droite, ici... c'est notre Centre Culturel. Au-dessus, il y a la
station de radio où nous nous sommes rencontrés... C'est de là que
j'émets... Maintenant, pendant la période du Triode, et ensuite, pendant
le Carême, je joue beaucoup de musique spirituelle de l'Occident et,
peu à peu, j'inclus certaines parties orthodoxes, mais tout juste assez
pour ne pas être provocateur. La musique spirituelle indienne n'est pas
autorisée à la radio. Ce n'est que pour la "longue maison". Le centre
culturel est soutenu financièrement par le gouvernement blanc. Les
puissances extérieures, du monde "civilisé", veulent nous aider, mais
uniquement sur le papier, en réalité, ils veulent nous noyer, nous
humilier, nous épuiser, pas tellement nous, mais nos âmes et tout ce que
nous portons. Ils veulent faire de nous des masques pour les musées,
des clowns lors de fêtes, de la recherche pour les archéologues... Ils
n'ont pas pris une bouffée de notre tabac, et ils ne se savent quel
genre de... tabac nous préférons. "
Il
éclata de rire. Je perdis presque le contrôle du volant... je continuai
à rouler en suivant ses instructions - gauche-droite - tout droit
etc... Jusqu'à ce que, dans un virage de la route, nous ayons vu une
structure moderne mais de forme très inhabituelle...
«C'est
notre école, école élémentaire et secondaire. Elle a un bon programme,
je l'aime. Elle est vraiment indienne. Outre les sujets classiques de
l'éducation de "blanc", nous avons beaucoup d'autres matières qui sont
probablement inconnues des Blancs. Nous ne les appelons pas "coutumes"
ou "culture", mais les manières "Indiennes", "les voies indiennes" (les
sons de la terre), les danses indiennes, les chants et les cris indiens
(comme un drame antique), la loi indienne, et d'autres choses. Les
terrains qui entourent l'école sont sacrés. Nous avons aussi une
"chambre noire", mais pas pour les photos... c'est pour la fabrication
du... masque à l'intérieur de nous "
- Va maintenant tout droit, vers l'Est. Continue, jusqu'à ce que tu trouves la route. A deux-trois kilomètres d'ici...
"Voici
notre hôpital. C'est un bâtiment neuf et c'est une idée nouvelle pour
nous. Quelque chose de salutaire, je l'espère. Il a été construit en
1985. Avant cela, nous avions nos propres hommes-médecine, ou nous
avions recours à des hôpitaux de l'homme blanc. Mais... ils étaient
difficiles... La plupart de leur personnel n'était pas habitué à nos
manières, il était difficile pour eux de s'occuper de nos vieux. Ils
doivent être à notre place, afin d'essayer de comprendre... Beaucoup
d'entre eux essaient de le faire. D'ailleurs, on peut dire qui aime
vraiment et qui peut être discerné parmi les professionnels
habituels..."
Vladimir
Natawe était le chef de sa tribu, il était leur chef spirituel. C'est
lui qui récitait les textes à leurs funérailles et à leurs mariages, il
était quelque chose comme un prêtre pour eux. Dans la soirée, il restait
assis les jambes croisées dans la "longue maison", à l'écoute des
problèmes de son peuple, pour les résoudre avec les conseils qu'il
offrait. Il avait le rôle d'un juge, ce qui était l'une des traditions
les plus puissantes. C'était un poète et un traducteur, mais aussi un
philosophe. Il connaissait leurs problèmes mieux que quiconque, il
connaissait aussi les lois strictes qui régissaient leurs tribus. Ceux
qui reniaient leurs principes ancestraux et devenaient chrétiens étaient
autorisés à rester dans le village, mais on ne leur donnait aucune
position. Ils devaient quitter le Conseil des sages, des vieillards, ils
"perdaient leur destin", comme on l'a décrit à leur manière spéciale,
ils étaient désavoués. Tout cela pouvait ne pas être d'une grande
signification pour un Indien ordinaire, mais pour un chef...
Personne
dans le village n'a jamais su, jusques en ce jour où il est mort, que
leur chef était chrétien orthodoxe. Et Vladimir, qui était Frank pour
eux, a vécu et travaillé avec eux, pour eux, avec la crainte toujours
présente qu'ils pourraient le découvrir. Il a dû être perpétuellement
modéré, attentif, flexible, sinon son image aurait été brisée en eux. Il
était en charge de la station de radio pendant des années, et il a
également travaillé à leur centre culturel. Il était considéré comme une
autorité sur les sujets concernant la tradition, et il était
incroyablement touché, chaque fois qu'il trouvait des "parallèles",
comme il les appelait, dans la tradition orthodoxe. Il partagea beaucoup
de ses expériences avec nous, parce qu'il ne pouvait pas les partager
avec son propre peuple. Quelle lourde croix à porter...
Chaque
fois que je le voyais sortir du sanctuaire de la petite église
orthodoxe de la Mère de Dieu, qui avait des offices en anglais et en
français, habillé en servant et tenant un cierge devant les prêtres et
les évêques, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander quel genre de
cœur ce vieux loup indien avait en lui, qui lui disait en permanence:
"Dieu le sait". Et il se prosternait toujours sur le sol, afin que Dieu
lui donne l'illumination de gouverner son peuple à travers les tempêtes
et les épreuves, et lui donne la force de tenir la lourde charge qui
lui avait été donnée, jusques à la fin.
Les
années passèrent. Chaque ami qui nous rendait visite à Montréal devait
faire le voyage obligatoire vers ce village indien pour rencontrer
Vladimir. Et beaucoup d'entre eux m'ont dit qu'ils avaient mis sur le
papier leurs propres expériences là-bas.
Un
matin, j'ai reçu un appel téléphonique à Montréal, me disant que
Vladimir était décédé dans son village. La question qui surgit dans mon
esprit était: qui va l'enterrer, que va-t-il advenir de lui? Il avait
toutefois laissé des instructions, écrites et précises pour tous les
rituels à faire dans la tradition indienne dans la "longue maison" et
pour qu'un prêtre orthodoxe lise des bénédictions sur son corps.
Naturellement, les Indiens n'avaient aucune idée de ce qu'il entendait
par "un prêtre orthodoxe", mais il avait laissé quelques numéros de
téléphone aussi.
Ils
ont effectivement téléphoné, et un prêtre orthodoxe est venu réciter le
service funèbre avant qu'ils ne portent Vladimir dans la longue maison.
Malheureusement
je n'ai pas eu l'occasion d'assister au rituel dans la longue maison,
mais un ami commun qui ont assisté à l'enterrement m'a transmis les
détails.
Deux
jours après les funérailles, ce même ami, Michael, m'a apporté les
nouvelles, et un paquet. Il m'a dit qu'il avait assisté à tout le
rituel. C'était vraiment impressionnant. Quand ils vont à la longue
maison, les Indiens mettent des vêtements qui correspondent à leur rang
dans le village. Le rituel, qui était bien sûr dans leurs propres
langues, avait une forme particulière, un peu comme l'ancien type
byzantin. À la fin, le testament du chef de tribu a été donné en lecture
à haute voix, devant toute la tribu. Dans son testament, il a mentionné
où il laissait chacun de ses biens. Vladimir avait 75 ans tout au au
plus. Il avait des enfants, des petits-enfants et des arrière
petits-enfants. Il laissa quelque chose à chacun des membres de sa
famille. À un moment, l'indien qui donnait lecture du testament a
éprouvé quelques difficultés à lire un nom qui n'était pas indien et,
après avoir grimacé un peu, il a mis ses lunettes et a prononcé le nom,
d'une manière déformée de la façon suivante: "Ya-nis Ha-dji-ni-ko-la-ou
". Mon ami Michael leva la main et on lui donna le paquet, qu'à son tour
il m'a donné.
Quand
j'ai ouvert le paquet, j'ai vu ce qui était à l'intérieur: c'était un
livre, "La Divine Liturgie", en grec et en anglais, que je lui avais
donné il y a de nombreuses années. A l'intérieur, sur la première page,
il y avait écrit: "Pour Yanni", et en dessous, en grec: ""Καλή αντάμωση"(A
nos retrouvailles!/ Au revoir!)- Vladimir Natawe". J'ai pris cela comme
un geste très aimable de sa part, il avait en effet inséré ces mots
avant son départ définitif, peut-être parce qu'il avait senti que sa
mort était proche. Il avait écrit en grec les mots pour dire "au
revoir". Bien entendu, la surprise ne s'arrêtait pas là: il y avait
encore autre chose. Lorsque j'ai feuilleté le livre, j'ai été stupéfait,
bouche bée... Il avait traduit l'intégralité du texte de la Liturgie en
langue mohawk, au-dessus des lignes du texte anglais! Bien sûr, je ne
peux pas lire le mohawk, mais je tiens à ce livre comme à un souvenir,
cette Liturgie orthodoxe traduite par Vladimir en langue indienne, toute
la Liturgie de Saint Jean Chrysostome... Si Dieu m'accorde cet honneur,
peut-être que je la publierai une jour...
Des
histoires contemporaines comme celle-ci peuvent sembler être comme un
conte de fées, parce que notre vie semble également fugitive. Et
pourtant, ces histoires sont remplies d'une lumière sans déclin, elles
sont les témoignages modernes de cette bienheureuse "folie", de cette
levure qui fait lever toute la pâte, de la petite église au sommet d'un
îlot de la mer Egée, aux lointaines réserves indiennes du Canada.
Au revoir Vladimir... Karamazov...
Voir aussi
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