Δευτέρα 5 Σεπτεμβρίου 2016

La lutte contre la privatisation de l’eau en Afrique du Sud


 
Photos d'ici
 
, par  McKINLEY Dale T.
Partage des eaux

Contexte
 
En 1955, le principal mouvement de libération d’Afrique du Sud, l’African National Congress (ANC), adoptait la Charte de la liberté, expression populaire des aspirations de la majorité des Sud-Africains. L’une des clauses les plus importantes de la Charte – que l’actuel gouvernement ANC cite encore comme son manifeste fondateur – affirme que « la richesse nationale de notre pays, patrimoine de tous les Sud-Africains, doit être restituée au peuple ».
La majorité des Sud-Africains, constituée des classes pauvres et ouvrières, se sont battus et ont donné leur vie non seulement pour la libération politique et la fin du régime de l’apartheid, mais aussi pour la liberté et la justice socio-économiques – pour la redistribution de toute la « richesse nationale ». L’eau, ressource naturelle essentielle à la vie, en est une partie intégrante. Quand la majorité des Sud-Africains offrirent la victoire politique à l’ANC en 1994, ils donnaient également au nouveau gouvernement le pouvoir de mettre en œuvre les principes de la Charte et de s’assurer que les ressources naturelles comme l’eau seraient contrôlées par les citoyens et accessibles à tous les citoyens, sans distinction de race ou de classe sociale. Ce mandat populaire trouva son expression dans le Programme de Reconstruction et de Développement (RDP), qui reprenait les principes fondamentaux contrat passé entre le peuple et le nouveau gouvernement démocratique. Il ne fallut pourtant pas longtemps au gouvernement de l’ANC pour abandonner ce mandat populaire en décidant de mener unilatéralement une politique de l’eau qui a abouti aux résultats opposés.
Avant même la fin de l’année 1994, le gouvernement sud-africain avait mis en place une politique de l’eau en contradiction patente avec l’obligation d’approvisionnement minimum vital stipulée par le RDP. Les directives gouvernementales habilitaient les administrations à ne fournir l’eau qu’à la condition d’en recouvrer entièrement les coûts d’exploitation, d’entretien et de remplacement. En 1996, l’adoption d’une nouvelle approche macro-économique, connue sous le nom de Croissance, emploi & redistribution (Growth, Employment and Redistribution, ou GEAR), plaçait définitivement les politiques relatives à l’eau et aux autres besoins essentiels dans un cadre rigoureusement néo-libéral.
Obéissant en cela aux recommandations de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de divers gouvernements occidentaux (ainsi qu’au lobbying intensif des multinationales de l’eau comme Suez et Biwater), le gouvernement réduisit fortement les allocations et les subventions aux municipalités et aux administrations locales, et encouragea le développement d’instruments financiers permettant une privatisation du service de l’eau. Ces mesures forcèrent de fait les municipalités à se tourner vers la commercialisation et la privatisation des services fondamentaux pour générer les revenus que l’État ne fournissait plus. De nombreuses administrations locales privatisèrent les services de l’eau, ou les transformèrent en entreprises comme les autres, par le biais « partenariats » de service et de gestion avec les multinationales de l’eau.
 
Impact 
 
 

Il en résulta bientôt une foudroyante augmentation du prix de l’eau. Les plus durement affectés furent bien évidemment les populations pauvres. La politique de recouvrement des coûts d’inspiration néo-libérale – visant à faire payer à la population les coûts associés des infrastructures de l’eau – servit de légitimation à cette augmentation spectaculaire. Sous l’apartheid, en 1993, les townships noirs des alentours de Fort Beaufort, dans la province du Cap-Oriental, payaient un montant forfaitaire de 10,60 rands pour tous les services, y compris l’eau et l’enlèvement des déchets. Avec la privatisation (au profit de Suez), de 1994 à 1996, le prix des services augmenta de 600%, passant à 60 rands par mois. Une augmentation de 100% des coûts de raccordement à l’eau fut également imposée. Dans une autre ville de la même province, Queenstown, l’évolution fut similaire, avec une augmentation de 150% des coûts de services. Dans la ville de Nelspruit (contrôlée par Biwater), dans le Nord-Est du pays, où le taux de chômage oscillait autour de 40% et le revenu annuel moyen des foyers noirs était de seulement 12 000 rands, l’augmentation du prix de l’eau fournie aux communautés noires atteignit 69% ! La politique de recouvrement des coûts a provoqué une crise nationale car elle rendait le service inabordable pour les townships noirs ainsi que pour les communautés rurales.
Ces rapides augmentations de prix furent bien sûr encore aggravées par la nécessité de « recouvrer » les très importants coûts supplémentaires liés au Lesotho Highlands Water Project, financé par la Banque mondiale. (Il s’agit d’un projet de construction de barrages et de canalisations destinés à approvisionner en eau à partir montagnes du Lesotho la plus importante ville d’Afrique du Sud, Johannesburg, et surtout les industries minières et manufacturières environnantes). La première hausse de prix imposée par le service d’eau nouvellement privatisé de Johannesburg (la Johannesburg Water Company, filiale sud-africaine de Suez) fut astronomique : une augmentation de 55%. Malgré la vigoureuse opposition du mouvement syndical, en particulier du Syndicat des travailleurs municipaux d’Afrique du Sud et de mouvements sociaux émergents (pour la plupart à base urbaine), le gouvernement persista dans son dessein de privatiser l’eau.
Suivant les conseils de la Banque mondiale, qui lui recommandait de faire planer une « menace crédible de coupure du service », la ville de Johannesburg et d’autres municipalités à travers le pays commencèrent à couper l’eau aux gens qui n’avaient plus les moyens de suivre l’augmentation des prix. Le modèle de recouvrement intégral des coûts promu par la Banque mondiale – soit un revenu tarifaire suffisant pour couvrir à lui seul les coûts de fonctionnement et de maintenance, sans aucune subvention publique destinée à garder les prix sous contrôle – a entraîné la coupure de l’approvisionnement en eau de plus de 10 millions de personnes. En outre, plus de deux millions de personnes ont été expulsées de leurs maisons, souvent du fait de la procédure légale visant à recouvrer les dettes des « clients » pauvres. Les communautés qui, auparavant, n’avaient pas accès à l’eau potable ont souffert le même sort quand les infrastructures ont été mises en place, ou ont dû se contenter de s’approvisionner dans des rivières polluées ou des puits éloignés.
L’impact collectif de la privatisation de l’eau sur la majorité des Sud-Africains a été dévastateur. La recherche désespérée de sources d’eau accessibles a entraîné des flambées de choléra qui ont fait des centaines de victimes. Dans la province du KwaZulu-Natal, la plus importante épidémie de choléra du pays a eu lieu en 2000, lorsque le système de robinet communal gratuit a été remplacé par un système (privatisé) de compteur prépayé. Plus de 120 000 personnes ont été infectées et plus de 300 personnes sont mortes.
Peu après que Suez, la multinationale française, ait pris contrôle de l’approvisionnement en eau de Johannesburg, le choléra a fait son apparition dans le township d’Alexandra, affectant des milliers de familles. Dans ces deux cas, ce n’est que lorsque que le gouvernement national a été contraint d’intervenir suite à la mobilisation et à la pression des citoyens que la maladie a pu être endiguée. Le manque d’hygiène et les systèmes d’assainissement « à l’air libre » ont également contribué à exposer en permanence les communautés ( et surtout les enfants) à diverses maladies facilement évitables. Il y a eu une augmentation de la pollution et de la dégradation de l’environnement liée au rejet incontrôlé des effluents et au manque d’eau disponible pour la production alimentaire. De plus, la dignité de communautés tout entières a été violée ; le droit d’accès au plus élémentaire des besoins humains, l’eau, a été converti en un privilège accessible seulement à ceux qui peuvent se le payer.
 
Les luttes des habitants 
 
 
Note de notre blog: L'Église orthodoxe africaine (Patriarcat d'Alexandrie et de toute l'Afrique) a ouvert des dizaines ou des centaines de puits dans les pays africains. Ainsi, essayer d'aider les peuples africains d'avoir accès à l'eau potable. La photo à partir d'ici.

À ces mesures de privatisation, les communautés des grandes zones urbaines comme Johannesburg, Durban et Le Cap, ainsi que de nombreuses villes moins importantes et des zones périurbaines à travers le pays, opposèrent une résistance active. L’un des nouveaux mouvements sociaux à avoir pris la tête de cette résistance est l’Anti-Privatisation Forum (Forum anti-privatisation, APF), une organisation fondée en 2000 et regroupant des groupes d’action populaire basés principalement dans la province de Gauteng (où se trouvent Johannesburg et Pretoria). Le principe directeur de l’APF est que les besoins élémentaires, comme l’eau, constituent un droit humain fondamental, et non un privilège dont ne doivent profiter que ceux qui peuvent se le payer.
Pendant tout le processus de privatisation, l’APF (avec d’autres mouvements sociaux et, dans une moindre mesure, le mouvement syndical) a mobilisé et organisé les populations pauvres et les travailleurs pour qu’ils s’y opposent. Des initiatives éducatives et juridiques sont venues compléter les traditionnelles actions de masse visant à mettre les gens ordinaires en position de revendiquer leur droit à des services de base gratuits (eau, électricité, éducation et logement). Par la suite, fin 2003, fut créée la Coalition contre la privatisation de l’eau (CAWP) a, regroupant un éventail de mouvements sociaux et d’ONG progressistes dans un effort collectif pour lutter contre la privatisation de l’eau.
Avec l’aide de l’APF et de la CAWP, les résidents ont lancé une campagne appelée « Opération Vulamanzi » (« De l’eau pour tous »), qui leur a permis de contourner certaines mesures matérielles de contrôle mises en place par les entreprises privées de l’eau, comme les compteurs prépayés et les systèmes de réduction de la pression. Les conduites d’eau ont été détournées afin de permettre un accès gratuit à l’eau et, par la même occasion, matérialiser sur le terrain la revendication de « démarchandisation » de l’eau et de prise en charge de la communauté par elle-même. Dans certaines communautés, les résidents ont détruit les compteurs prépayés, en un acte de défi ouvert contre les firmes privées de l’eau..
Affichant leur mépris pour les droits constitutionnels et humains des pauvres, les politiciens et les bureaucrates du gouvernement de l’ANC ont publiquement qualifié ceux qui résistaient ainsi à la privatisation de criminels et d’anarchistes qui souhaitent créer une « culture du non-paiement ». Ces attaques ont été accompagnées d’une répression de grande ampleur de la dissidence et de la résistance des communautés. Au cours des trois dernières années, des centaines d’activistes et de membres de communautés ont été arrêtés et emprisonnés.
Même si les luttes anti-privatisation n’ont pas encore réussi à geler le processus, la pression populaire a contraint le gouvernement à mettre en place une politique de gratuité partielle de l’eau fin 2002. Il y a pourtant encore des millions de personnes qui ne reçoivent pas les 6000 litres d’eau « gratuits » par foyer et par mois octroyés dans ce cadre, une quantité qui ne suffit pas même aux besoins sanitaires de base d’un foyer moyen. (L’Organisation mondiale de la santé recommande un minimum de 100 litres d’eau par personne et par jour. Si les foyers moyens – noirs, urbains ou ruraux – comptent en moyenne huit personnes, alors la quantité minimale nécessaire est de 24 000 litres par mois par foyer.)
L’opposition populaire à la privatisation a également contribué à l’échec et/ou à la renégociation de nombreux contrats de privatisation de l’eau en Afrique du Sud.
C’est dans ce contexte que l’APF et la CAWP continuent d’intensifier leur campagne contre la privatisation de l’eau sous toutes ses formes. À travers ces campagnes, la majorité populaire a, une fois de plus, fait irruption sur le devant de la scène pour revendiquer ses droits humains fondamentaux et sa dignité.
 
Semer les graines d’une alternative 
 
 Water pump in Malawi 
La photo à partir d'ici (Malawi)

En Afrique du Sud, le mouvement de résistance à la privatisation de l’eau entend aussi semer les graines d’une alternative. L’une de ces graines est la capacité démontrée par les communautés pauvres à saper, aussi bien politiquement que physiquement, la fourniture privée au niveau des points de « consommation ». Non seulement ces actes illustrent l’appropriation du combat par les communautés les plus pauvres, mais de plus ils posent les fondements sur lesquels la majorité des Sud-Africains pourra appuyer ses demandes de changements politiques et structurels dans le système de propriété et de distribution de l’eau, et d’autres services fondamentaux indispensables à la vie.
Aujourd’hui, les revendications de l’APF et la CAWP sont les suivantes :
- La criminalisation de la dissidence et de l’opposition à la privatisation de l’eau doivent immédiatement prendre fin.
- Les compteurs prépayés doivent être proscrits et retirés de toutes les communautés pauvres où ils sont installés. Ils doivent être remplacés par un système d’eau sans contrôle de volume et à pleine pression, avec le prélèvement d’un prix forfaitaire de 10 rands par mois.
- Le gouvernement doit revenir sur sa politique de privatisation de l’eau et de tous les autres besoins fondamentaux, en résiliant tous les contrats de « service » et les accords de « gestion » avec des sociétés commerciales privées de l’eau.
- Une politique de subventions croisées (depuis les firmes privées et les riches particuliers vers les communautés pauvres) doit être immédiatement mise en place pour financer efficacement l’approvisionnement gratuit en eau des plus pauvres. Cette mesure doit être complété par un rejet de la dette héritée de l’apartheid par le gouvernement et, par suite, l’utilisation de ces sommes pour subventionner la fourniture des services de base gratuits.
- Le gouvernement doit résolument s’engager, politiquement et fiscalement, à mettre en place une infrastructure universellement accessible (en particulier dans les zones rurales) qui soit complètement exemptée de tout mécanisme de « recouvrement des coûts », et aui repose sur une véritable participation des organisations populaires et communautaires situées dans les zones qui ont le plus besoin d’infrastructures.
- Le gouvernement doit affirmer publiquement le droit humain et constitutionnel de tous les Sud-Africains à l’eau, en garantissant une propriété, un fonctionnement et une gestion entièrement publics des infrastructures afin de fournir des services de base gratuits pour tous. Avec le temps, cette « propriété publique » doit prendre la forme de partenariats public-communauté et public-travailleurs, dans lesquels les organisations communautaires et les employés du secteur public participeront de manière égalitaire et exerceront un contrôle démocratique.

 
Solidarité internationale 
 
Il est regrettable que de nombreuses ONG internationales progressistes, mouvements sociaux, partis politiques et organisations communautaires continuent de soutenir les politiques socio-économiques du gouvernement de l’ANC, croyant de façon erronée qu’elles reflètent véritablement une « lutte continue de libération nationale ». L’APF, la CAWP et autres organisations et mouvements similaires d’Afrique du Sud incitent vivement ceux qui font partie de mouvements en faveur de la justice globale et opposés à la mondialisation capitaliste à agir en solidarité avec nous. Le premier acte d’une telle solidarité devrait être de renforcer les contacts, le partage de l’information et les luttes menées en commun. Faire connaître le processus de privatisation en Afrique du Sud, prendre part à des actions de protestation devant les ambassades et les consulats sud-africains, envoyer des messages de solidarité, tout cela est utile. Il faut également inciter la publication d’articles politiques dans des médias progressistes et grand public. À ce stade du mouvement anti-privatisation en Afrique du sud, le besoin de fonds les procédures judiciaires revêt un caractère particulièrement crucial. Il est difficile pour l’APF et la CAWP de trouver les fonds nécessaires à la défense des nombreux activistes incarcérés et poursuivis, et l’intensification de notre campagne ne fera qu’augmenter les besoins en la matière pour la période à venir.
Dans le monde entier, les gens commencent à s’unir pour défendre le droit humain à l’eau. Que ce soit à Cochabamba en Bolivie, à Accra au Ghana, à Atlanta en Géorgie, à Buenos Aires en Argentine, à Manille aux Philippines,ou à Johannesburg, les campagnes actuelles contre la privatisation de l’eau se font écho entre elles, et avec toutes les campagnes menées ailleurs pour démarchandiser l’eau et instituer des services publics basés sur une participation et un contrôle réellement démocratiques afin de satisfaire les besoins des gens.

Cet article a été publié initialement en 2005, dans la version originale de ‘Reclaiming Public Water’.

Voir aussi

Les grands enjeux de l’eau
Dossiers spéciaux
L’eau au centre de la crise climatique
Les révolutions arabes et l’eau
Gérer l’eau comme bien commun
L’eau, un bien public à reconquérir
Succès de la gestion publique de l’eau
Une gestion publique à construire ou à reconstruire avec les citoyens
Privatisations et résistances
Crise de l’eau et politiques de privatisation en Afrique
Nouveaux enjeux de la pollution de l’eau
Les guerres de l’eau auront-elles lieu ?


Gregorios, Métropolite du Cameroun: «Dans deux ou trois siècles, le foi orthodoxe en Afrique aura sûrement sa propre identité», «Les tribus locales ont constaté que nous n’étions pas simplement une Église de colons»
Église orthodoxe Pères, la richesse et le capitalisme
Historique de l’accueil de la tradition de l’Église orthodoxe dans les pays d’Afrique subsaharienne au début du XXe siècle
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